DELARUE, M. : Communication faite à la Société sur un mode de désinfection des matières fécales, (Bulletin des travaux de la Société d'Émulation de Lisieux. Ier volume. 1846).
Communication faite à la Société sur un mode de désinfection des matières fécales
par
M. Delarue

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Fontana, physicien italien, a trouvé que la substance noire, résultant de la décomposition par le feu et en vase clos des corps d'origine organique, nommée charbon, jouissait de la propriété d'absorber plusieurs fois son volume de gaz. Théodore de Saussure a prouvé, par un grand nombre d'expériences, que certains charbons pouvaient absorber jusqu'à quatre-vingt-dix fois leur volume de gaz hydrogène azoté. Lowist, de son côté, s'est aperçu que du charbon mis en contact avec de la chair en putréfaction, lui enlevait son odeur putride ; que de l'eau croupie, de l'eau de fumier étaient rendues potables en les filtrant sur du charbon en poudre grossière.

Soit connaissance de tous ces faits, soit hasard, M. Salmon, de Paris, a eu l'heureuse idée de mêler de la poudre de charbon à la matière des fosses d'aisances et aussitôt l'odeur en a été enlevée. C'est sur ces données que j'ai entrepris l'expérience dont je vais avoir l'honneur de vous rendre compte.

Vous savez tous, Messieurs, que lorsque neuf heures du soir arrivent, une odeur infecte de matières fécales se répand depuis la hauteur de l'hôtel de la Belle-Fontaine jusqu'au pont de Caen et dans une partie des rues adjacentes, telles que celles du Pont-Mortain et de la Boucherie. L'absence de latrines dans ces quartiers force les habitans à déposer dans des vases le résultat de leurs digestions ; mais l'odeur infecte qui se répand dans leurs étroits appartemens, les oblige à les vider tous les soirs sur la voie publique, et le lendemain encore on trouve des restes non équivoques de la malpropreté du soir. J'ai pensé que ce serait rendre un véritable service à la société que de lui offrir les moyens de se soustraire à ce genre de désagrément ; pénétré de cette idée, je n'ai point reculé devant le sacrifice qu'il fallait faire pour me livrer à des expériences désagréables.

Le 16 juillet dernier, je fis placer convenablement un vase dans un étroit grenier, dont la température était de 20 degrés centigrades ; deux personnes, mon élève et mon domestique, y déposèrent leurs excrémens et leurs urines pendant quarante-cinq jours consécutifs. A chaque opération, ils jetaient une petite quantité de charbon en poudre et nulle odeur ne s'exhalait. La température s'abaissa singulièrement dans les premiers jours de l'expérience, de 20 elle descendit à 12 degrés centigrades ; mais dans les premiers jours d'août, elle monta jusqu'au 27e degré et s'y maintint quelques jours. Cette température était convenable pour juger de l'action désinfectante du charbon, par la raison que la fermentation devait être plus grande, que par suite plus grande devait être la quantité des gazs infects, tels que le sulfhydrate d'ammoniaque, le gaz ammoniac, provenant de la décomposition de l'urine qui se putréfie avec la plus grande facilité, que partant il y avait plus de gaz et de vapeur à absorber, et que le pouvoir absorbant du charbon diminuait à cause de la force expansive du calorique. Aucune odeur ne se fit sentir.

J'ai dit, Messieurs, qu'on y jetait un peu de charbon ; car ce n'est pas, comme vous le pourriez croire, un mélange exact de charbon et de matières excrémentielles qu'il faut faire à chaque fois ; non, il n'est pas absolument nécessaire que chaque molécule charbonneuse se trouve en contact avec une molécule infecte, que chaque atome rencontre un autre atome comme dans beaucoup de réactions chimiques ; il suffit d'y jeter, ou d'y faire jeter par son domestique, un peu de charbon en poudre, avec une carte ou une petite pelle percée en écumoir. Au bout des 45 jours, je cessai les expériences et je fis porter le vase au bord de la rivière, à l'endroit où les lessivières lavaient du linge ; plusieurs d'entre elles ont eu la curiosité de regarder dans le vase, et pas une n'a reconnu ce qu'il contenait ; vous-mêmes, Messieurs, vous avez pu vous convaincre du peu d'odeur de la substance noire que j'ai fait circuler dans vos rangs. Eh bien ! cette matière noire résulte d'un mélange grossièrement fait des deux corps. Le charbon animal aurait probablement, comme dans maintes circonstances, une supériorité d'action marquée sur le charbon végétal, mais je n'ai point expérimenté avec cette substance ; j'ai voulu ôter tout prétexte au mauvais vouloir qui se serait retranché derrière une dépense qu'il aurait représentée comme exorbitante. En effet, le charbon animal coûte en fabrique 15 francs les 50 kilogrammes, le port, le bénéfice du marchand, le prix de revient, seraient à Lisieux de 23 centimes le demi-kilogramme. C'est avec du charbon de bois que j'ai opéré ; le charbon léger des boulangers, nommé braise, qui paraît brillant et jaieteux et peu propre à ce genre d'expérience, est pourtant celui que j'ai employé ; il est à la portée de toutes les classes ; il se réduit facilement en poudre, passé seulement au tamis de crin ; il remplit parfaitement le but que je me suis proposé. Pendant les 45 jours qu'a duré l'expérience, j'ai dépensé 750 grammes de poudre de braise, dont le coût est de dix centimes. Ainsi tout prétexte de dépense disparaît, et je pense même qu'il y aura bénéfice pour les particuliers, car ils pourront vendre à des cultivateurs, ou faire porter dans leurs jardins cette substance, où elle servira d'engrais précieux ; à la rigueur ils pourront la déposer sur la voie publique, puisqu'elle sera inodore ; seulement, dans ce cas, ils seront obligés de mêler le tout avec un bâton, parce que les couches internes de la stratification n'étant pas en contact avec le carbone, des effluves infectes se manifesteraient. Le magistrat éclairé qui souvent nous préside, sera prié de faire connaître à ses administrés, par tous les moyens en son pouvoir, ce procédé aussi simple qu'économique, et d'en prescrire expressément l'emploi.

Lisieux, ce 9 Octobre 1838.


DELARUE, M. : Communication faite à la Société sur un mode de désinfection des matières fécales, (Bulletin des travaux de la Société d'Émulation de Lisieux. Ier volume. 1846).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Bibliothèque Municipale de Lisieux (26.03.1998)
Texte relu par : A. Guézou
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